Chine, les années enfiévrées
La Maison de la Chine expose une sélection de photos inédites signées Thierry Jadot, prises entre 1987 et 1989, dévoilant une Chine en pleine effervescence qui s’ouvre alors au tourisme, une Chine nouvelle au bien-être matériel émergeant, une Chine des villes et des vélos, mais aussi des campagnes et des minorités. Conversation avec Alain Genestar, journaliste et directeur de publication du magazine Polka, consacré à la photographie.
Je trouve que la photographie a une vertu. Elle transcende la réalité. Soit en la dramatisant, d’où une passion pour le noir et blanc, soit en la magnifiant à travers la couleur. C'est ce regard-là qui m’anime.
Alain Genestar : La photographie est une passion qui te prend dès l’âge de 11 ans. Pourquoi cette passion de jeunesse, qui chez la plupart des gens passe, dure toujours et t’anime tant encore aujourd'hui ?
Thierry Jadot : J’ai le sentiment d’être très observateur, je vois des choses que les autres n’ont pas captées : l’étage d’un immeuble, un arbre, une scène particulière... J’aime imprimer ma rétine pour me créer des souvenirs. C’est ma dimension mélancolique. J’aime replonger dans des choses que j’ai vécues.
AG : Photographier, est-ce pour toi un besoin ou un plaisir ?
TJ : Les deux. Mais quand je n’ai pas mon appareil photo, je sens un manque. J’ai mis du temps à réaliser que je photographiais depuis toujours, sans arrêt. C'est en observant la masse de négatifs ou, par la suite, de cartes SD, que je me suis dit que je faisais de la photo. Quand je suis retombé sur mes archives de la Chine, je me suis demandé comment j’avais pu faire sept mille clichés ? En fait, depuis toujours et en permanence, je fais des photos. Y compris dans les villes où j’habitais et non pas juste des photos de « voyages ». J’ai juste pris un peu distance avec la photo lors de la transition entre l'argentique et le numérique. Ça a duré quatre-cinq ans.
AG : Est-ce la photo qui vient à toi ou toi qui va la chercher ?
TJ : Pour moi, la photographie n’est pas du témoignage, elle sert à raconter une histoire puissance dix. En fait, ce que j'aime dans la photographie, c’est l’accident, c’est l’idée de saisir un moment.
Mais il m’arrive de vouloir faire une photo en particulier, d’aller par exemple dans un quartier et d’en sortir quelque chose. Pour répondre à la question, la photo vient vers moi et je vais sans cesse vers elle. C'est un croisement permanent. Un va-et-vient . Un carambolage harmonieux...
AG : Tu partages ta photographie sur les réseaux sociaux. Est-ce que cela ne t'éloigne pas de la condition du photographe qui construit son œuvre, y réfléchit en profondeur, recherche une cohérence ?
TJ : Je ne suis pas un amateur, je suis disons... au milieu du guet. J’ai envie de partager des moments où j’ai vécu quelque chose de fort photographiquement. La photographie qui me plaît, ma photographie plus réfléchie, n’est pas sur Instagram. Par exemple mon travail sur la Chine n’aurait pas eu la même valeur dans les années ’90 que celle qu’elle prend aujourd'hui, et ça fait quand même trente ans qu’il est là. J’ai perdu du temps avant d’oser le montrer. Il y a donc maintenant pour moi une forme d'urgence à oser.
Exposition Thierry Jadot
Thierry Jadot, le photographe qui collectionne les photographies de Klein, Moriyama, Riboud, ou Erwitt, expose à La Maison de la Chine une trentaine de ses photos de Chine prises entre 1987 et 1989