Rencontre avec Carole Fraresso, experte en orfèvrerie andine
Docteure en archéomatériaux et chercheuse associée au musée Larco de Lima, Carole Fraresso est une archéologue spécialisée dans l’étude des pratiques métallurgiques des sociétés andines, reconnue internationalement. Animée par sa passion pour l’Amérique latine et le bijou ancien, elle associe sa culture artistique à son expertise d’archéométallurgiste pour faire renaître l’art de l’orfèvrerie précolombienne en concevant des collections exclusives de bijoux en or recyclé 18 carats et argent 950/1000. Auteure, conférencière, elle est également la co-commissaire de l’exposition « Machu Picchu et les trésors du Pérou », qui débute à la Cité de l’architecture et du patrimoine, à Paris.
Rencontre avec cette grande connaisseuse du Pérou, qui a à cœur la préservation et la transmission d’un patrimoine fragile, démarche éthique et responsable que partage Les Maisons du Voyage.
1- En tant qu’archéologue et chercheuse, votre territoire d'investigation est les Andes, et notamment le Pérou. Pourquoi ?
Carole Fraresso : J’ai toujours été attirée par les civilisations précolombiennes et la grande diversité des traditions qui définissent les particularités de l’Amérique latine. Quand on a comme passion l'Amérique du Sud et le bijou ancien, c'est au Pérou qu'on atterrit pour enquêter sur les vestiges du passé. D’autant qu’il y a vingt ans, l’archéologie était ici à son apogée et plusieurs projets de fouille ont été à l’origine de découvertes inédites de tombes royales mochicas. Le Pérou est doté d’une longue et fascinante tradition joaillière méconnue ; il s’agit pourtant de l’un des héritages culturels les plus riches au monde qui alimente l’imaginaire du monde entier depuis le XVIe siècle. Je me suis spécialisée dans le domaine de l’orfèvrerie de cette « civilisation dorée », à la fois complexe et fascinante. Puis, enrichie par mes résultats de recherche, m’est venue tout naturellement l’envie de restituer les gestes de ces designers andins d’un autre temps.
2- Justement, en 2010, vous avez fondé Motché Paris-Lima, une maison de joaillerie qui s’inspire des parures précolombiennes…
Carole Fraresso : Oui, Motché est la suite logique de mon parcours. Mondialement réputé pour son orfèvrerie, le Pérou a été durant plus de 3 000 ans un lieu de production d’objets luxueux à l’identité forte et singulière. Mais au fil des décennies, la production en masse de bijoux standardisés à faible coût a progressivement envahi le marché péruvien. Les conséquences ont été dramatiques pour les orfèvres du nord du Pérou qui ont été contraints de partir travailler dans les ateliers mécanisés de Lima, ou pire d’abandonner leur métier. Certains gestes et savoir-faire sont indéniablement perdus, d’autres sont sur le point de disparaître. Motché œuvre à la récupération et à la sauvegarde de ce patrimoine vivant du Pérou ; cette mission est au cœur de la maison Motché, dont l’atelier est installé sur la côte nord du Pérou, dans la région de Chiclayo. J’ai fondé la maison Motché avec Armando Castillo, issu d'une famille d'orfèvres traditionnels depuis plusieurs générations, qui pérennise l’identité de ce savoir-faire séculaire. Notre objectif est de créer une école-atelier où Armando pourra enseigner les techniques ancestrales de fabrication du bijou précolombien à ses apprentis. Depuis 2010, nous nous attachons à détecter et accompagner des artisans péruviens d’exception afin de constituer un vivier d’experts. Préserver, c’est assurer la transmission des savoir-faire aux futures générations d’orfèvres, tout en projetant cet art millénaire dans des usages modernes et selon une démarche responsable.
3- Parlez-nous de vos créations, de vos inspirations…
Carole Fraresso : Mon inspiration se nourrit de la richesse des motifs reproduits sur les vestiges archéologiques : des symboles géométriques, un bestiaire magique, des mises en scènes qui racontent les mythes... Je suis également influencée par la mode, le design ou encore par les propriétés physico-chimiques du métal : brillance, son et mouvement sont des « qualités » propres aux métaux que les anciens orfèvres du Pérou savaient exploiter pour créer des bijoux cérémoniels. Les expériences sensorielles font partie intégrante du bijou Motché. Au niveau de la fabrication, nous sommes guidés par les traditions techniques de la joaillerie de l’ancien Pérou. L’ADN de la Maison et des collections est la feuille d'or, dont l'épaisseur flirte souvent avec les limites du micromètre. Nos créations (bijoux, vaisselle, décors muraux, objets d’art ou d’apparat) sont façonnées à la main dans le respect des techniques ancestrales de déformation plastique comme le martelage, la ciselure et le repoussé. Elles sont fabriquées en production limitée, voire de façon unique, sur mesure, à la demande des collectionneurs, designers et particuliers.
4- D’où vient le nom de Motché ?
Carole Fraresso : Mochica, ou Moche (prononcé Motché), est le nom d’une civilisation précolombienne qui s’est développée sur la côte nord du Pérou entre 150 et 850 après J.-C. Cette culture a été mon sujet d’étude pendant 7 ans ; aujourd’hui, je suis toujours fascinée par la place qu’accordait cette société sophistiquée à la parure en or, argent ou cuivre doré dans tous ses rituels. Si les premiers bijoux en or extra-minces datent de 1 200 avant notre ère au Pérou, c’est tout au long du Ier millénaire que la production d’objets déformés plastiquement s’est montré la plus prolifique dans cette spécialité. C’est en effet durant l’apogée des civilisations de la côte nord du Pérou que les parures et autres luxueux objets prennent tout leur essor, des pièces majestueuses pour lesquelles le poids et l’épaisseur sont des facteurs de confort déterminants. Avec les Mochicas, le bijou monumental intègre littéralement les activités politiques et religieuses de la société, au point de mener les artisans à privilégier la technique du martelage et à inventer des procédés ingénieux de dorure et d’argenture sur cuivre similaire à l’électrolyse, dont la technique et les « recettes » ancestrales se sont perdues...
5- Pouvez-vous nous présenter l’exposition « Machu Pichu et les trésors du Pérou », dont vous êtes la co-commissaire, qui se tient du 16 avril au 4 septembre 2022 à la Cité de l’architecture et du patrimoine à Paris ?
Carole Fraresso : Cette exposition évènement met pour la première fois en lumière la cosmovision andine qui permet de comprendre comment et pourquoi toutes les cultures de l’ancien Pérou, jusqu’aux Incas, organisaient leurs activités quotidiennes et cérémonielles. C’est un voyage fascinant à la découverte de 3 000 ans d’histoire et de réussites artistiques, techniques et culturelles, proposé à travers une sélection fine de 192 objets archéologiques de la collection du musée Larco de Lima et du musée Manuel Chavez Ballon de Machu Picchu, dont 136 objets sont pour la première fois présentés en France. Céramiques au réalisme surprenant, somptueux textiles, vaisselles luxueuses et bijoux d’orfèvres… Au-delà de leur beauté esthétique, ces œuvres patrimoniales nous éclairent sur les croyances et l’environnement enchanteur des Incas et des sociétés antérieures qui ont façonné la grande histoire de la civilisation andine. Dans cette exposition, 90 objets et bijoux précieux issus de tombes royales forment la plus grande collection péruvienne d’or et d’argent n’ayant jamais voyagé hors du Pérou, faisant pour la première fois revivre des parures ayant appartenues à de nobles seigneurs pré-incas. À travers cette collection magistrale est proposé au public un tête-à-tête grandiose avec les ancêtres éblouissants du Pérou, jadis honorés pour leur sagesse et leurs vertus.
L’exposition est conçue comme une expérience immersive dans le monde andin créé par une scénographie inspirante. Des outils interactifs, des projections vidéos grand format et des ambiances sonores enveloppantes complètent l’expérience. Enfin, le visiteur a l’opportunité inédite, intime et saisissante de réalisme, de visiter virtuellement la citadelle inca de Machu Picchu. Il est également invité à participer à un Escape Game interactif au cœur des Galeries permanentes de la Cité de l’architecture et du patrimoine. Un mythique bijou inca en or est à la clé !