
3 jours à la recherche d’un « trésor national vivant » à Kyushu
Marie et les bambous… Tout a commencé après la lecture d’un article sur les installations en bambou de l’artisan d’art Tanabe Chikuunsai IV, au domaine de Chaumont-sur-Loire, et lors d’une visite de l’exposition Fendre l’air du musée du Quai Branly, « dédiée à l’art des paniers en bambou au Japon ». Marie, responsable de production Asie, passionnée du Japon et des arts, découvre de magnifiques œuvres, l’art de la transmission, de la perfection et toute l’expression de la beauté du geste précis dans un rapport charnel et méditatif à la matière. Elle tombe nez à nez avec une œuvre en bambou qui danse en spirale de bas en haut. Dessous, il est écrit qu’elle a été conçue par un « trésor national vivant » (« ningen kokuho » en japonais). Dès lors, elle n’a qu’une idée en tête : rencontrer un « trésor national vivant » ! Elle nous raconte son voyage entre art et culture sur l’île de Kyushu, hors des sentiers battus…
Derrière l’appellation « trésor national vivant », attribuée par le ministère de l’Éducation japonais, se cache le détenteur d’un savoir-faire, désigné comme gardien de biens culturels immatériels, que ce soit dans le domaine des arts du spectacle ou dans celui de l’artisanat.
1- 1er jour : Beppu
Été 2019. Je pars vers le nord-est de l’île de Kyushu, le Japon méridional, connu pour ses réserves de bambous où l’on trouve l’espèce la plus haute et large du Japon (20m et 20cm de diamètre !). Deux décennies plus tôt, c’est en Chine que j’ai étudié, pour la première fois, cette matière à la fois durable et utile, forte et résistante. Je suis impatiente de pouvoir poser des questions à des artistes.
Arrivée à l’aéroport d’Oita après un transit à Osaka, je prends la navette locale pour me rendre à Beppu, la ville des « enfers », des sources brûlantes naturelles datant de plusieurs millénaires. Les petites cheminées de vapeur disséminées partout dans la ville offrent un paysage urbain surprenant. La nuit est déjà tombée quand je trouve mon hébergement proche de la gare. Après un repos réparateur, j’enfourche mon vélo, direction le musée du bambou avec lequel le musée du Quai Branly a eu une collaboration. Bien m’en a pris de prendre un vélo électrique car la ville est particulièrement étendue et vallonnée - entre mer, canaux et collines.
De l’extérieur, l’architecture du musée se veut très moderne. À l’intérieur, l’espace se divise en plusieurs salles sur deux étages. En bas, différentes sculptures sont exposées, des paniers, des lampes, des chapeaux… Le musée n’est pas grand ; mais, on retrouve des œuvres du trésor national vivant de la région, Shounsai Shono - aujourd’hui, décédé. C’est grâce à lui que l’artisanat du bambou a été hissé au rang d’art.

À l’étage, environ vingt étudiants sont assis sur des tatamis. Ils font face à une bassine d’eau et des éclisses de bambous, un outil à la main. Nous tentons d’échanger en anglais avec le professeur. Je comprends qu’il est très difficile de rencontrer un trésor national vivant ; mais, qu’il reste des artisans d’art du bambou dans la région d’Oita. Notre conversation prend fin rapidement. Je me dirige vers l’accueil et le café-boutique du musée pour en savoir plus ; mais, même avec un traducteur, les renseignements sont maigres. À la question : « Où trouver des forêts de bambous accessibles en transports en commun ? », on me répond : « Un peu partout dans la campagne. Près d’Usuki, par exemple ». Je remercie mes interlocuteurs en japonais « Arigato Gozaimasu. Sayonara » et m’empresse de reprendre contact avec une association pour un tourisme vert rencontrée en France avant mon départ. J’aimerais dormir chez l’habitant à Usuki ! L’occasion peut-être de me rapprocher de mon objectif…
Le reste de la journée est consacré à la visite de la ville de Beppu avec la découverte de trois des huit « enfers » et des échoppes d’artisanat ; puis, à un moment de détente dans l’un des nombreux onsen. En fin de journée, mon dîner se compose de légumes cuits et parfumés à la vapeur des onsen.
2- 2ème jour : Usuki et le site des bouddhas de pierre
Le lendemain, je monte dans le train pour Usuki, situé à 45 minutes de Beppu. Il s’agit d’une ancienne cité de samouraïs charmante, qui a su conserver d’authentiques vestiges parmi lesquels son château et, surtout, ses bouddhas de pierre, classés trésors nationaux. Autrefois lieux d’échanges avec les navires portugais et hollandais, ce port et sa région sont actuellement connus à travers le Japon comme étant pionniers en matière d’agriculture biologique.
En attendant de rencontrer les organisatrices de mon séjour chez l’habitant, j’emprunte un vélo électrique auprès de l’Office de tourisme de la ville, non loin de la gare, et y laisse ma valise. « Savez-vous où je pourrais trouver un trésor national vivant ou un artisan d’art du bambou ? ». « Aucune idée, désolée ». À l’aide de mon plan, je repars à la découverte de la ville : halte devant les anciennes fortifications du château, promenade dans la rue historique de Nioza où je goûte à une glace au goût de yuzu et de kabosu, deux agrumes typiques de la région. Dans l’un des sanctuaires qui domine la ville, les locaux sont réunis pour manger et danser, l’endroit idéal pour assister aux rituels shintoïstes kagura - « divertissement des Dieux » ! Il me semble reconnaître un tambour traditionnel « taïko », quelques costumes et masques. L’ambiance est très festive et entraînante. En juillet, la ville s’anime grâce à de nombreux festivals ; mais, le festival dédié aux bambous a lieu en novembre.

Les deux représentantes de l’association sont arrivées. Ensemble, nous nous rendons au site des bouddhas de pierre, situé à environ 30 minutes en vélo électrique depuis le centre-ville d’Usuki. L’environnement autour des grottes est magnifique, au milieu des collines, des forêts, près d’un champ de lotus, en fleurs lors de notre visite. Les Bouddhas auraient été sculptés entre la fin de l’époque Heian (794-1185) et le début de l’époque Kamakura (1185-1333).
Le déjeuner est prévu au restaurant Sekibutsu Kanko Center à l’entrée du site, au premier étage du magasin de souvenirs. Là, est servie une cuisine à base de lotus qu’il n’est possible de déguster qu’une fois dans l’année, de la mi-juin à la mi-août : tofu de citrouille, fruit du lotus, racines de lotus, fleur de gingembre, de gombo… Autant de saveurs que de couleurs se succèdent ! Le repas est accompagné de trois types d’infusions : la tige du lotus en décoction, les feuilles et, pour finir, la fleur de lotus infusées. Pour parfaire ce tableau culinaire, le mari de la cheffe crée les poteries et la vaisselle qu’elle utilise pour le service. Original !
Dans l’après-midi, je rejoins ma famille d’accueil qui habite à trente minutes d’Usuki, en voiture. Un couple d’agriculteurs qui cultive principalement le poivron vert m’accueille gentiment et nos échanges débutent avec l’aide d’un traducteur. Le tourisme rural dans la région d’Usuki trouve son origine aux XVIIe et XVIIIe siècles, pour faire face à l’afflux de visiteurs venus écouter les histoires folkloriques de la région. Aujourd’hui, plus d’une trentaine de maisons d’hôtes peuvent accueillir pour montrer leur mode de vie, une cuisine locale de saison, des activités, dans un cadre pittoresque.
Mon futon est déjà préparé sur des tatamis dans une salle fermée par des portes coulissantes traditionnelles Shoji. À l’extérieur, une belle surprise m’attend : une forêt de bambou et des outils pour le travailler ! Après une petite balade avec mon hôte dans le jardin et en forêt, où notre conversation laisse place peu à peu au silence et à une séance de pleine conscience, un petit atelier m’est offert pour confectionner des baguettes en bambou et un jouet. Je comprends qu’il va être difficile de rencontrer ne serait-ce qu’un artisan local sans avoir pris rendez-vous à l’avance. Aussi, je savoure ce moment de partage très agréable. La journée se termine autour d’un bon repas à trois, avec une lecture de contes et de légendes de la région, la présentation d’un masque, un échange sur la politique de nos deux pays et, parfois, des incompréhensions risibles…

3- 3ème jour : de retour à Usuki
Le temps file. Je suis déjà de retour à Usuki en présence de mes deux accompagnatrices.
Encore une fois, elles me font découvrir une magnifique adresse pour le déjeuner. Le restaurant Seigutsuan, situé dans l’ancien quartier d’Usuki et récompensé par le guide Michelin, offre une cuisine végétarienne des moines surprenante et succulente. L’entrée se fait par une pièce chaleureuse remplie de souvenirs et de trophées. Le Chef Ekun Ando nous accueille en personne ; puis, on entre dans une salle à la décoration épurée, dotée d’une baie vitrée qui donne sur un magnifique jardin japonais. Ekun Ando est moine lorsqu’il commence à apprendre la cuisine à l’âge de 18 ans. Trois ans après, il a suffisamment de bases pour préparer des plats en échange de donations. Après avoir suivi plusieurs chefs au Japon et à l’étranger, il devient lui-même chef de cuisine végétarienne dans le respect de la pratique du bouddhisme.
Au début du repas, un texte est remis avec les baguettes, rappelant que la cuisine du bouddhisme zen n’est pas simplement l’idée de manger ; mais, qu’elle se veut philosophique et poétique, également. Beaucoup de saveurs se succèdent au cours du repas. Je ne pensais pas qu’il pouvait y avoir autant de variété de goûts dans la cuisine végétarienne : du tofu au sésame avec une pointe de wasabi, une feuille de nénuphar accompagnée de « konraku » pimenté, des « udo » japonais (légumes de la montagne), un bouillon du bouddhisme zen, d’autres légumes froids qui ont mijoté pendant 24 h, des écorces de citron de printemps confites, de la confiture de Kaboku…
Nous nous apprêtons à quitter les lieux, précédés d’un couple arrivé avant nous au restaurant. Des habitués, peut-être ? Ekun Ando semblait leur prêter une attention particulière lors du service. Pas seulement… Quelle surprise, il s’agit du fils d’un trésor national vivant, venu déjeuner en toute discrétion, en compagnie de sa femme. Incroyable, c’est un signe du destin ! Je suis tentée de les rattraper ; mais, ça ne se fait pas. Finalement, ma quête n’est-elle pas déjà satisfaite ? Les trésors vivants ne sont-ils pas les rencontres et les découvertes que j’ai pu faire ces trois derniers jours ? Cerise sur le gâteau, Ekun Ando comprend que nous nous intéressons aux bois et aux artisans et nous propose de visiter le temple Kensho Uji, construit il y a 400 ans, dont il a la clef.

Le cyprès, le bambou et le noisetier ont été utilisés pour les murs, le plancher, la charpente et il a fallu trois ans et demi pour faire la salle de thé dont le plafond en bambou a été conçu par le fameux trésor national vivant, Shounsai Shono ! Ekun Ando nous propose une séance de méditation, suivie d’une cérémonie traditionnelle du thé. Puis, dans le jardin de mousses attenant à la salle de thé, il nous présente une statue de Kannon qui serait, en réalité, Marie, représentation cachée du catholicisme lorsque celui-ci a été banni par le gouvernement local au début du XVIe siècle. Un autre pan de l’Histoire du Japon à explorer ?
Mon vœu n’a peut-être pas été entièrement exaucé ; mais, tous ces moments inattendus m’ont fait vibrer intensément et m’ont donné envie d’aller encore plus loin dans mon voyage… C’est décidé, je pars pour Nagasaki et les îles Goto, au nord-ouest de Kyushu, à la recherche d’un chrétien caché cette fois-ci, ou, tout du moins, de sa descendance !
Découvrir Kyushu :
Kyushu insolite, circuit accompagné ;
Kyushu, terre de légendes et de volcans, voyage sur mesure.

Voyage Japon
Concoctés par nos spécialistes du Japon, nos circuits accompagnés et voyages sur mesure invitent à parcourir l’archipel comme on traverserait le désert : en se délestant de tout bagage culturel, esthétique, pour une découverte passionnante, à l'image d'une contrée aussi mystérieuse que généreuse en beautés et en contrastes.